Qoyllur Ritty, jour 3
Vers 2 h, dans la nuit, les pablitos de ma confrérie se lèvent pour monter sur le glacier du Colquepunku, à plus de 5000 mètres. Plusieurs fois, ils m'ont proposé de les accompagner. Je sais qu'il y a quelques années, cela m'aurait été complètement interdit : seuls les initiés avaient alors le droit d'y aller .. les règles ont changé... Malgré tout, je refuse : je n'ai pas encore fermé l'œil de la nuit, faute de place dans la cabane... Plusieurs jeunes filles nous ont rejoint dans la journée, et pour le coup, même avec la meilleure volonté du monde et en essayant de me faire toutes fine, ça ne passe pas, impossible de se faufiler, même de côté ... J'erre donc une partie de la nuit en attendant précisément que les pablitos s'en aillent ... pour récupérer leurs places (puisque le côté réservé en principe aux garçons devient alors quasiment vide). Les pablitos vont attendre le lever du soleil sur le glacier. Quand l'astre se montrera, ils prieront. A l'époque préhispanique, les montagnards rendaient un culte au Soleil, de même qu'aux montagnes... Et aujourd'hui encore, les habitants des Andes vénèrent les sommets qui entourent leur communauté. Habituellement, les ukukus ramenaient sur leur dos des blocs de glace qu'ils allaient porter dans le sanctuaire, et qu'ils ramenaient aussi dans les églises de Cusco ou de leurs villages, pile pour la Fête Dieu (le Corpus Christi). C'était une offrande au Christ, ou un moyen d'être purifiés ou d'obtenir de bonnes récoltes. Désormais, encore une fois parce que la diminution des glaciers est préoccupante (et aussi pour éviter les multiples accidents et les chutes dans les crevasses), il est interdit d'emporter de la glace.
Dans la matinée, le groupe de danseurs de ma confrérie part avec les musiciens attendre les pablitos et les accueillir à leur retour du glacier.
De mon côté, je décide de remonter vers une autre langue de neige, car plus on monte, plus la vue sur ce gigantesque camp est impressionnante... et je ne me lasse pas de ce spectacle !
Alors que je me dirige vers l'un des glaciers, je tombe par hasard sur Paul, qui m'accompagne jusqu'au milieu de la montée. Il doit ensuite faire demi-tour, car sa « nation » va partir vers le plateau de Tayankani : tout un après-midi et une nuit de marche, de musique et de danses, pour arriver au petit matin face à l'Ausangate, le plus haut sommet de la région (6384m) et la plus puissante divinité.
Je continue alors à monter, et lorsque j'arrive près de la neige, je vois un couple en train de prier et d'allumer des bougies. C'est bien le glacier qu'ils sont venus prier .... D'autres personnes sont en train de récupérer un peu de glace malgré l'interdiction...
Puis, voyant que le camp est en train de se vider, je redescends vers l'église (où la messe en quechua vient de se terminer) car je ne sais pas très bien à quelle heure ma confrérie va repartir. C'est impressionnant de voir que, parmi les gens qui restent, les musiciens ont encore la force de jouer, les danseurs de sauter et tourner, malgré la fatigue et l'altitude. Quelle ferveur !